RFI – Chronique des droits de l’homme du 14 juillet 2018, « Justice internationale: la CPI a 20 ans »
Journaliste : Carine Bonnot est responsable du Bureau Justice internationale à la FIDH, la Fédération internationale des droits de l’Homme. Elle se souvient parfaitement de ce 17 juillet 1998 à Rome, lorsque le statut a été signé.
Carine Bonnot : Ah je m’en souviens extrêmement bien puisque j’étais moi-même à Rome. Je travaillais à l’époque pour une autre organisation. Cette création a été extrêmement rapide, ça a été juste quatre années de négociations acharnées avec des sessions très régulières qu’on ne voit plus du tout aujourd’hui dans les conventions internationales. Donc c’était vraiment une création assez unique, très rapide, grâce aussi à l’engagement de personnes, de délégués des États extrêmement motivés, extrêmement engagés, et aussi le rôle de la coalition internationale pour la
CPI qui regroupait à peu près deux mille ONG dans le monde. Et c’est vraiment cette synergie des États et des ONG à un moment un peu crucial, au sortir de la Guerre Froide aussi, qui a vraiment permis la création de cette Cour et quand la Cour a été créée, malgré le vote contre des États-Unis et d’autres, c’était très tard dans la nuit, du 16 au 17 juillet et c’était une grande émotion et une grande joie.
Journaliste : Aujourd’hui 123 États ont ratifié le texte mais 20 ans après le statut de Rome, le bilan de la CPI est plutôt mitigé reconnaît Carine Bonnot de la FIDH.
Carine Bonnot : 20 ans après, c’est vrai que le bilan n’est pas forcément le plus positif, mais nous à la FIDH, nous continuons à penser que c’est une juridiction qui est importante et qui doit évoluer, qui doit être davantage soutenue aussi par les États qui ont ratifié son statut et qui doit avoir les moyens d’agir, ce qu’elle n’a aujourd’hui pas suffisamment. Et qu’elle doit effectivement renforcer ses enquêtes, universaliser son action, ouvrir des enquêtes vraiment dans d’autres régions qu’en
Afrique, même si [y’a] aussi l’enquête en Géorgie aujourd’hui. Voilà c’est une juridiction qui est quand même assez jeune, et qu’il faut renforcer, et qu’il faut soutenir parce que elle a aussi une force, pas uniquement au travers de ses jugements et de ses condamnations, qui restent très peu nombreuses aujourd’hui, mais elle a aussi une force parce que elle peut forcer les États à, pour justement qu’elle n’ouvre pas d’enquête, ces États sont forcés à ouvrir eux-mêmes des enquêtes
au niveau national, à modifier leur droit national et c’est ça aussi qui est intéressant dans la CPI.
On le voit en Guinée, aujourd’hui où le procès sur le massacre du stade va avoir lieu, sur lequel la CPI travaille depuis des années et si la CPI n’avait pas ouvert cet examen préliminaire sur ce massacre-là, aujourd’hui il est peu probable que les juridictions guinéennes organisent ce procès.
Et en Colombie aussi on le voit, sans l’examen préliminaire ouvert par le bureau du procureur de la CPI en Colombie depuis 2005, je ne suis pas convaincue que les accords de paix auraient été ce qu’ils ont été.
Journaliste : Les États sont aujourd’hui plus réticents à laisser la CPI s’immiscer dans leurs affaires et les budgets ne sont pas à la hauteur.
Carine Bonnot : Après les attentats du 11 septembre aux États-Unis, c’est sûr que la scène internationale a beaucoup changé, que les États aujourd’hui, même si ils sont 123 à avoir ratifié le statut de la CPI, sont extrêmement frileux pour lui donner les moyens d’agir. Tous les ans les États se réunissent pour voter le budget de la Cour et depuis 5 ans ils ne veulent pas augmenter son budget. Donc si la Cour n’a pas un budget qui augmente, évidemment elle n’aura pas les moyens de mener davantage d’enquêtes et de renforcer son travail. Et puis c’est vrai que la lutte contre
l’impunité des crimes les plus graves n’est pas considérée comme aussi importante que dans le passé. Et on le voit aujourd’hui par rapport aux crimes qui peuvent être commis en Syrie, au Yémen, où cette question-là n’est vraiment pas du tout sur la table aujourd’hui.
Journaliste : Les ONG qui font partie de la coalition internationale pour la CPI, comme la FIDH, continuent de soutenir l’ouverture de nouvelles enquêtes, insiste Carine Bonnot, car sur le fond dit-elle, il faut œuvrer pour réformer la CPI et lui donner les moyens d’agir, même si le contexte géopolitique ne lui est pas favorable.